Dimanche 12 juin 2022 – 8h, le top dĂ©part de la 36e Ă©dition de la Mini Fastnet est donnĂ© depuis la baie de Douarnenez. AccompagnĂ© de Fabien Samour, mon co-skipper, nous nous Ă©lançons sur un parcours de 600MN (1111km) en Manche et Mer Celtique. Notre objectif : contourner le phare du Fastnet au sud-est de lâIrlande avant de rentrer Ă Douarnenez.
Nous prenons un départ en milieu de ligne (safety first) et envoyons rapidement notre gennaker pour sortir de la baie le plus rapidement possible afin de passer le chenal du Four avant la marée descendante et la renverse de courant. Rater la marée reviendrait à prendre prÚs de 12h de retard sur les premiers ! Nous sommes concentrés sur les réglages de nos voiles et soignons notre cap pour arriver le plus tÎt possible.
Ă la sortie du Four, les premiĂšres stratĂ©gies et routes divergentes commencent Ă se faire. La flotte, jusquâici trĂšs compacte, sâĂ©clate et les premiers commencent Ă sâĂ©chapper. Nous optons pour une route au-dessus du reste de la flotte, pour profiter des renverses de courants et variations de vent annoncĂ©es pendant la nuit. Nous traversons la Manche Ă toute vitesse dans un vent de 16-20nds. Le bateau nâest jamais allĂ© aussi vite au prĂšs⊠et il nâa jamais autant mouillĂ© nous plus. LâĂ©trave lĂšve des vagues qui dĂ©ferlent sur le pont et trempent absolument tout.

Les heures passent et nous trouvons surprenant de ne plus recevoir aucun bateau sur lâAIS et la VHF. Le lendemain (lundi 13/06) Ă lâapproche du phare de Wolfrock, au sud-ouest de lâAngleterre, nous comprenons que notre option nord a payĂ©e. Les concurrents ayant optĂ© pour une route directe se sont retrouvĂ©s dans un vent faible toute la nuit et Ă la merci du fort courant de la Manche. Nous avons doublĂ© de nombreux concurrents et sommes Ă ce moment lĂ dans le top 20.
Alors que nous entamons notre traversĂ©e du passage de Landâs End, notre quille devient de plus en plus difficile Ă penduler, ce qui complique grandement nos manoeuvres. Nous cassons mĂȘme notre palan de quille alors que nous sommes au milieu de notre remontĂ©e au prĂšs, en train de faire du rase caillou. Ne pouvant plus penduler notre quille correctement, nous avons du mal Ă faire marcher le bateau convenablement et nous perdons Ă©normĂ©ment de places durant ce passage. Places que nous ne tardons pas Ă regagner, car une nouvelle bulle sans vent sâest installĂ©e sur toute la flotte. Tous les concurrents sont Ă lâarrĂȘt. Les bateaux dĂ©rivent, font des tours sur eux-mĂȘmes et mettent les nerfs de tous les skippers Ă rude Ă©preuve. Nous profitons de ce temps calme pour rĂ©parer notre palan de quille avec une poulie improvisĂ©e Ă lâaide dâune manille textile et dâun anneau de friction.
Mercredi 15 juin, au petit matin, le classement est de nouveau chamboulĂ© par la pĂ©tole et nous avons le sentiment de vivre un nouveau dĂ©part de course. Nous interceptons Ă©galement une conversation des bateaux accompagnateurs qui parlent dâune possible modification de parcours. Le suspense est insoutenable et la communication officielle finie par arrivĂ©e : une rĂ©duction de parcours est dĂ©cidĂ©e par le directeur de course, car une grosse dĂ©pression est attendue en provenance dâIrlande jusquâĂ la pointe bretonne. Tous les concurrents doivent ĂȘtre rentrĂ©s au port avant samedi et pour cela il est nĂ©cessaire de rĂ©duire le parcours. Au lieu de contourner le mythique phare du Fastnet nous faisons tous cap vers une marque virtuelle situĂ©e au 51° N 08°W.
Nous atteignons la marque jeudi 16 juin, en milieu dâaprĂšs-midi. Alors que pendulons notre quille sous le vent, en prĂ©vision de notre virement de bord, le rail en carbone massif qui tient la quille se casse sous nos yeux et nous voyons la quille glisser de plusieurs centimĂštres. Elle est retenue in extremis par un minuscule bout de carbone. Un peu sous le choc (et inconscients) nous signalons notre « problĂšme de quille » Ă la direction de course sans rentrer dans les dĂ©tails de peur quâils nous forcent Ă abandonner.
Lâabandon de la course est inenvisageable Ă ce stade de la course. Nous sommes Ă mi-parcours, au milieu de la Mer Celtique. Nos options de repli sont au choix lâIrlande, oĂč une dĂ©pression est annoncĂ©e, soit la pointe bretonne et Douarnenez notre destination. Alors, autant continuer la course ! Nous sĂ©curisons la quille comme nous le pouvons et improvisons une sorte de garrot avec un bout de dyneema et une clĂ© Ă molette afin de limiter les mouvements de quille.

Le temps de cette rĂ©paration de fortune, les concurrents nous distancent et entament une descente au portant. Malheureusement avec la quille dans lâaxe, qui peut se dĂ©crocher Ă tout moment nous sommes obligĂ©s de lever le pied. Impossible pour nous dâenvoyer un spi, ou autre voile dâavant, ni de garder trop de surface de voilure. Il faut Ă©viter que le bateau tapeâŠ
Le sort semble pourtant sâacharner sur nous. Alors que le soleil se couche, le vent thermique se lĂšve, la mer se forme. Au fur et Ă mesure de notre descente, les conditions mĂ©tĂ©o se dĂ©gradent. Nous affrontons des rafales Ă prĂšs de 30nds et des vagues de 2m50 de face ! Nous avons 2 ris dans la grand-voile et 1 ris dans le Solent. Impossible pour nous de remonter au vent cela secoue trop la quille. Nous nâavons dâautre choix que dâabattre et de partir au large du DST dâOuessant.

Avec Fabien, nous finissons par envisager le pire et nous nous prĂ©parons Ă un potentiel abandon du navire. On prĂ©pare nos combinaisons de survie TPS, vĂ©rifie le contenu du grab bag, ramĂšne le bidon dâeau de survie Ă lâentrĂ©e, et on rĂ©pĂšte dans nos tĂȘtes les rĂšgles de sĂ©curitĂ©s apprises pendant notre stage World Sailing. Le stress monte, les visages se tendent, plus personne ne parle, ni ne dort, Ă lâĂ©coute du moindre craquement ou bruit suspect.
Au petit matin, le vent finit par baisser et tourner Ă notre avantage. Nous faisons maintenant cap vers le DST dâOuessant et la bouĂ©e de parcours Racoon sud-est. Nous sommes soulagĂ©s, mais fatiguĂ©s.
La journĂ©e du vendredi est plus calme, un peu trop calme. La Mini Fastnet commence sĂ©rieusement Ă avoir des airs de Mini « Slownet ». Nous devons naviguer au grĂ© des courants et des veines de vent. NĂ©anmoins, la journĂ©e Ă le mĂ©rite de nous permettre de recharger nos batteries et de nous reposer. Plus la journĂ©e passe et plus nous captons de bateaux sur notre AIS. Au milieu de la nuit, nous rĂ©alisons que nous avons rejoint les autres skippers qui sont restĂ©s bloquĂ©s au cap de la chĂšvre, Ă lâentrĂ©e de la baie de Douarnenez. Nous avons dĂ©sormais moins de 12MN de retard sur le premier et moins de 1MN sur reste de la flotte. On a du mal Ă en croire nos yeux, nous sommes encore dans la course !
Voyant la flotte arrĂȘtĂ©e au cap de la chĂšvre, nous dĂ©cidons de faire route au sud pour tenter de prendre la veine de courant montant et doubler quelques bateaux. Une option qui sâest malheureusement soldĂ©e par un Ă©chec, puisque le vent ne nous a pas permis dâatteindre cette veine de courant. Nous sommes Ă notre tour bloquĂ© entre deux eaux, sans vent et sans courant. Les bateaux au vent touchent un peu dâair et nous laissent littĂ©ralement sur place. En 1h Ă peine, ils sont dĂ©jĂ Ă plus de 6MN devant⊠mais la mĂ©tĂ©o nâa pas dit son dernier mot. Une nouvelle zone de pĂ©tole sâinstalle au-dessus de la flotte et nous permet de revenir et mĂȘme de doubler plusieurs bateaux. AffolĂ©s de nous voir les doubler Ă quelques miles de la ligne dâarrivĂ©e les binĂŽmes sâactivent et paniquent.

Samedi 7h du matin, on peut presque toucher la ligne du bout des doigts, mais rien y fait tout le monde est Ă lâarrĂȘt et le courant est seul maitre Ă bord. Une fois encore, nous restons collĂ© Ă lâarriĂšre de la flotte. Dans un dernier effort, nous doublons lâavant-dernier et nous passons la ligne moins de 10 secondes devant lui ; et seulement 4h aprĂšs le premier.
Nous rentrons finalement au port, heureux dâavoir terminĂ© cette course, fiers de ne pas avoir abandonnĂ© et soulagĂ©s que lâhistoire se finisse bien.
Je dois malheureusement mettre fin Ă ma saison prĂ©maturĂ©ment et annuler mon dĂ©part en qualification hors course ainsi que ma participation Ă la SAS. Je dois commencer mon chantier d’hiver un peu plus tĂŽt que prĂ©vu pour espĂ©rer ĂȘtre au rendez-vous Ă la saison prochaine. De gros travaux sont prĂ©vus : nouveau systĂšme de quille, des safrans relevables et peut-ĂȘtre mĂȘme une nouvelle Ă©trave ! đ±
Si vous souhaitez m’aider dans les rĂ©parations et les optimisations du bateau, rejoignez mon aventure sportive et eco-responsable en devenant partenaire !
Photo : Simon Jourdain – Winches Club